Space Odyssée – Résidence de création de Kleine Compagnie & Mind of a Snail

Space Odyssée – Résidence de création de Kleine Compagnie & Mind of a Snail

Anaïs Pellin, Chloe Ziner et Jessica Gabriel sont trois artistes de Vancouver qui collaborent à la création d’un poème cosmique et scénique, sans paroles, en utilisant un théâtre de matières et d’objets miniatures, présenté dans un format ultra-intime. Voici le journal de bord de ce qu’ils et elles ont exploré durant leur résidence au Cube, du 18 au 31 mars 2024.

 


Résidence de création de Space Odyssée 

Une création de la Kleine Compagnie (Anaïs Pellin) en collaboration avec Mind of a Snail (Jessica Gabriel et Chloe Ziner), avec la complicité de Julie Vallée-Léger

Journal de bord rédigé par Anaïs Pellin, au nom de la Kleine Cie et de ses collaborateur·rice·s de Mind of a Snail.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

When you light a candle, you also cast a shadow.

Un enfant sait très bien que les licornes n’existent pas, mais il sait aussi qu’un livre qui parle de licornes, s’il est bien écrit, dit la vérité.

Ursula K Le Guin 

 

Jour 0 / Arrivée à Montréal

Anaïs arrive le 15 mars et passe le WE à Montréal pour tenter de contrecarrer le décalage horaire.

Chloe et Jessica arrivent le dimanche 17, après une tournée à Calgary au Festival of Animated Objects. Tout.e.s se retrouvent au Airbnb sur Chapleau le dimanche soir. 12 jours intenses commencent !

 

Jour 1 / Lundi 18 mars 2024

Café croissant avec l’équipe du Cube et du Carrousel. Petits yeux du lundi matin, et excitation d’être en résidence à Montréal au Cube/Carrousel, lieux magiques. Nous nous présentons et parlons du projet : nous en sommes au premier balbutiement. Anaïs, via la Kleine, a proposé à Chloe et Jessica de Mind of a Snail de collaborer ensemble (les deux compagnies) sur un projet de courtes formes pour un public ultra-intime sur le thème de l’espace. L’idée est de créer des petits poèmes cosmiques. L’accueil est très chaleureux et l’équipe ouverte.

Début en salle de répétition : discussion sur les horaires, car il y a eu un quiproquo entre les deux compagnies. Il faut trouver notre mood commun, et ce n’est pas toujours évident la collaboration artistique lorsqu’on vit sur des rythmes différents. Nous arrivons à une entente.

Déballage des objets, matières et matériaux : les deux compagnies présentent ce qu’elles ont apporté. Beaucoup de matériel sonore et des lumières pour Mind of a Snail, ainsi que de la matière, des balles. Beaucoup d’objets, des matières et matériaux pour Kleine Cie, et quelques lampes.

Nicolas Fortin (directeur technique du Carrousel), nous fait visiter son atelier et nous invite à emprunter du matériel. Un vrai plaisir de pouvoir fouiller dans ces trésors ayant eu une autre vie !

C’est peut-être ça le plus inspirant, et la base du théâtre d’objet comme le pratique la Kleine : aller chercher du matériel déjà utilisé, car son usure témoigne de son vécu et apporte une profondeur à notre travail de création.

Premier brainstorming/Partage d’idées

  • Ce qu’on souhaite explorer comme technique

  • Ce qu’on souhaite explorer comme thème

A

près le lunch, Anaïs partage des vidéos (réels) ASMR faites avec de la matière, collectées depuis presque un an sur son fil Facebook : beaucoup sont à base de slime et de sable kinetic

Pour la fin de l’après-midi, on part en exploration individuelle sur la matière dont on partage les découvertes entre nous :

  • Chloe travaille sur la couverture de survie (space blanket): iel travaille sur la transparence, le corps caché par la matière, le son que cette matière provoque, et comment créer des paysages à partir de ce matériel.

  • Jessica travaille sur la slime: la transparence de la matière, une rivière sur le corps, recouvrir un objet + travail sur la notion de temps (combien de temps avant que l’objet soit couvert), comment créer un paysage avec la slime et la notion d’installation (combinaison d’éléments)
  • Anaïs travaille sur le sable kinetic: isoler un grain de sable (micro), le sable qui tombe en filet, un paysage qui se forme avec le sable et les ombres que cela génère, la notion d’effondrement (lorsqu’une structure en sable tombe, tout l’imaginaire qui en découle), construire une grotte (visuels tirés de notre imaginaire collectif sur la science-fiction, tels que les paysages de Dune, Stars Wars, etc.).

Première journée riche et intense ! Le décalage se fait sentir, les piles sont un peu à plat à la fin de la journée (au propre comme au figuré).

 

Jour 2 / Mardi 19 mars

Nous continuons les explorations individuelles sur la matière, on échange les matières entre nous. On introduit aussi la musique électronique pour notre exploration :

  • Anaïs travaille sur la slime : les fils que la slime crée et l’effet « alien » de la matière. Interaction entre la matière et les objets miniatures, comment créer un « écran » à base de slime pour projeter les ombres dessus.
  • Jessica travaille avec la couverture de survie : comment cela déforme le corps lorsqu’on la met dans les vêtements. Exploration sur le son que cela provoque lorsqu’on froisse cette matière.
  • Chloe travaille sur le sable kinetic : cette matière est très fun, mais beaucoup de déceptions sur ce qu’elle peut produire (par exemple l’effet « merde » du sable qui tombe en paquet). Néanmoins, recherche foisonnante : Chloe a continué l’exploration du sable comme paysage, la lumière noire sur le sable, le laser qui fait un voyage sur le sable, créer une balle de sable et faire une éclipse avec la lumière noire sur le sable.

Avant le lunch, nous revenons aux objectifs de notre résidence, afin de guider la suite de notre exploration. Chloe propose de lister ce que l’on sait du projet, ce qu’on ignore encore, et ce que l’on souhaite en faire :

Nous soulignons l’importance de la place de chacun.e et de notre rôle au sein du processus de collaboration artistique

Pour la deuxième partie de la journée, comme nous avons déjà entamé l’exploration avec les lumières, nous demandons à Nicolas d’obstruer les fenêtres pour pouvoir faire une jam explorative dans le noir : il nous apparaît déjà très clairement que notre univers évolue mieux dans l’obscurité ! Adieu donc la lumière du jour ! Chloe au son, Jessica et Anaïs aux matières et à la manipulation, on explore tout dans toutes les directions pour briser les limites et découvrir les nouveaux possibles de ce microcosme qui commence à prendre vie.

Nous finissons ce deuxième jour avec notre première bougie d’allumage : l’atelier de voix avec Gabriel Dharmoo. On explore notre voix comme matière et ce que les objets nous inspirent comme son : clown, objets, matière, mouvements, sons, tout se mélange ! Notre horizon s’élargit.

 

Jour 3 / Mercredi 20 mars (journée mondiale du théâtre pour l’enfance et la jeunesse)

Aujourd’hui, Julie Vallée-Léger nous rejoint pour la journée afin d’explorer avec nous ! Bonheur.

Avant sa venue, nous sentons le besoin d’à nouveau parler de notre organisation interne : il faut que l’on trouve notre dynamique de création, tout en respectant les responsabilités et l’intégrité de chacun.e, et cela peut parfois être un challenge.

Avec Julie, nous commençons à travailler sur des mini formes. Pour ce faire, on liste des concepts/références liés à l’espace qui nous inspirent (cette liste continuera de grandir durant toute notre résidence).

Par groupe de 2 (Jessica et Anaïs/Chloe et Julie) nous créons en 20 minutes des formes de 2-3 minutes chacun.e.s.

Jessica et Anaïs créent des haïkus à partir de la liste, qu’iels mélangent. Iels en choisissent un comme base de création de leur petite forme (les mots comme matière).

« Ne regardez pas directement le soleil dans les yeux, vous y verrez le trou noir de mon âme »

Une image de soleil — trou noir apparaît.

Chloe et Julie travaillent avec le microcontact et d’autres instruments de son : iels font une recherche sur le son des balles/planètes. Deux petites formes naissent, qu’on présentera lors de la sortie de résidence : le big-bang des planètes suivi du bruit de l’éclipse. La petite forme en chantier prendra le nom du bruit de l’éclipse.

De nouveau, après le lunch, un temps de discussion s’impose : le fait que Julie, personne externe du groupe soit là fait avancer la situation. Trouver une méthode de travail collective qui fonctionne pour tout.te.s nous demande du temps. C’est la première fois que la Kleine Cie organise ainsi une résidence à Montréal avec deux autres artistes de Vancouver qui ont leur propre compagnie, il faut que l’on s’ajuste.

Pour la deuxième partie de la journée, nous changeons les groupes : Chloe et Jessica travaillent avec un microprojecteur. Un concept de projection d’images sur le visage de roches et autres objets insolites filmés en direct prend forme. On appelle cette forme en gestation :

La face cachée de la lune

 Anaïs et Julie travaillent avec le miroir sans tain, la lumière noire, le sable Kinetic, et le faux cube de glace.

Deux mini formes sont créées :

La naissance de l’astronaute

L’alien de glace

À la fin de la journée, Julie voudrait nous créer notre idée de mini-théâtre/vaisseau spatial qui abriterait toutes les petites formes. Mais calendrier oblige, elle ne sera pas avec nous demain.

 

Jour 4 / Jeudi 21 mars (journée mondiale de la marionnette)

Nous continuons les explorations.

Jessica fabrique deux petites boîtes noires avec écran, dont un posé sur le miroir sans tain, pour explorer l’ombre et la matière. Jessica et Chloe continuent l’exploration avec ces deux techniques.

 

 

Anaïs continue l’exploration avec la vidéo et la face de la lune. Les défis sont grands pour cette technique, qui demande beaucoup de temps d’exploration et de matériel : nous n’avons pas les objets miniatures nécessaires, et nos recherches demeurent infructueuses pour nous en procurer rapidement et qu’ils soient à notre goût. Nous la mettons de côté pour le moment.

En PM, Nico nous a construit un premier prototype de vaisseau, attaché avec des pinces. Anaïs explore les possibilités de cette structure en improvisant dans cet espace.

À 16 h 30, Anaïs a la bougie d’allumage d’explicitation avec Julie Drouin. Le moment explicité se focalise sur la collaboration artistique.

 

Un projet théâtral ne s’accomplit que de manière chorale.

Georges Banu

Jour 5 / Vendredi 22 mars 

Notre prototype de vaisseau s’est effondré durant la nuit (les pinces n’ont pas tenu) ! Nico vient le chercher pour pouvoir le consolider convenablement.

Jessica explore une forme utilisant la Black Light dans la section « vaisseau ».

Chloe continue les explorations avec les boîtes d’ombres.

Anaïs travaille avec du plexiglas.

En après-midi, Jessica travaille sur les boîtes d’ombres, Chloe compose de la musique et Anaïs reprend la forme avec la Black Light : inspiré par les premières explorations de Jessica, cette forme devient Le jardin de l’Espace

En fin de journée, on peint en noir le prototype fait par Nico. Notre univers scénographique commence à prendre forme !

Jour 6 / Samedi 23 mars

2e couche de peinture pour le prototype de vaisseau — planète !

Nous faisons un brainstorming des formes que nous voudrions présenter pour la sortie de résidence : Le jardin nocturne de l’espace (avec les black lights), les boîtes d’ombres (encore sans nom), et Le bruit de l’éclipse(installation sonore).

Anaïs travaille sur le jardin, Jessica sur les boîtes d’ombres et Chloe sur la création sonore.

Anaïs assiste à Histoires pour faire des cauchemars en après-midi ! Ça sert aussi à ça les résidences en dehors de chez nous : aller voir des spectacles autres que ceux qu’on voit en C.-B.

 

Jour 7 / Dimanche 24 mars

Congé ! Photo du Parc Baldwin en fin de journée

Jour 8 / Lundi 25 mars

Chloe continue la composition musicale, Jessica explore les boîtes d’ombres et Anaïs, le jardin.

En après-midi on partage nos avancées. Jessica explore comment faire le lien entre les deux boîtes. Anaïs patauge avec la slime, qui n’est pas évident à manipuler. On décide de la couper.

Chloe explore les possibilités de la Black Light.

Chloe et Jessica vont voir Mon conte de feu en soirée (Anaïs l’avait vu le samedi de son arrivée)

 

Jour 9 / Mardi 26 mars

En matinée nous retravaillons sur Le bruit de l’éclipse à trois : nous échangeons de rôle entre interprète et regard externe.

En après-midi, Julie nous rejoint !

Chloe et Jessica travaillent sur les boîtes d’ombres que Jessica nomme L’horizon des événements. Iels travaillent ensemble sur le son et la composition des images.

Julie et Anaïs travaillent sur le jardin : sélection des éléments et les différents rythmes de la forme. Julie rapporte de nouveaux éléments à explorer, mais ça sera pour une prochaine étape !

Après la résidence, nous allons boire un verre. Une fresque d’astronaute nous accueille sur la rue, en face du bar.

Jour 10 / Mecredi 27 mars (journée mondiale du théâtre)

Nous rangeons l’espace en vue de la sortie de résidence.

Nous continuons le travail sur les trois formes. On installe des caméras pour que Chloe puisse nous voir lorsque nous jouons Le jardin et L’horizon afin qu’iel puisse improviser musicalement la bande sonore de ces deux petites formes. Nous discutons sur les formes, ce qu’il faut garder, ce qu’il faut couper en vue de la sortie de résidence. Certaines pistes sont intéressantes, mais trop peu avancées pour les montrer à une audience (même avisée).

Il y a des soucis avec la black light, Anaïs ira en chercher une nouvelle le lendemain matin.

Après les répétitions, Anaïs participe à la rencontre du CQT à l’Usine C pour la journée mondiale du théâtre.

Chloe et Jessica vont voir Survie du vivant.

Petite photo de notre airbnb un peu délabré

 

Jour 11 / Jeudi 28 mars

Le matin on explore comment on va installer le public. On essaie la machine à fumée, et c’est l’hécatombe ! Elle coule et on met de la fumée partout : un bon rappel de ne jamais ajouter des effets au dernier moment sans les tester avant !

On prépare et on répète les petites formes.

Nous avons un désaccord sur Le bruit de l’éclipse, nous discutons pour essayer de trouver un compromis qui convient à tou.te.s : la création collective comporte des enjeux décisionnels importants !

 

Sortie de résidence

Un franc succès ! Toute l’équipe du Carrousel, Martin Boisclair, Mélanie Dumont, Louise Lapointe, Esther Duquette, Jean-François Guilbaut, Amineh Sharifi et Maggie Winston assistent à notre travail en cours.

De beaux retours, de bonnes pistes de réflexion, un plaisir de discuter de notre travail et ouvrir notre « atelier de deux semaines » à tant de belles personnes.

Merci au Cube, au Carrousel : cet accueil fut magnifique. Peu d’espace nous donne la chance de nous tromper, de questionner notre manière de créer, de travailler en groupe, de collaborer ensemble sur des sujets vastes et des formes atypiques. Nous nous sommes senti.e.s privilégié.e.s d’être ici.

Pour terminer, je voudrais souligner ceci : faire un journal de résidence s’est avéré extrêmement riche. Cela permet de revenir sur le travail, le revisiter avec un certain recul, de manière plus posée, et approfondir davantage la réflexion. Ces temps de recherche sont précieux et doivent être préservés. J’espère que nous pourrons encore en bénéficier dans l’avenir, c’est tellement important pour que les arts restent vivants !

 

(…) le théâtre doit être un espace laboratoire où sont réunis tous les matériaux nécessaires à la création afin de pouvoir faire des essais, mélanger, ajouter, effacer…

Marion Boudier, Avec Pommerat

Partager cette publication